Une politique criminelle

Le 27 novembre dernier, un train fantôme a fauché quatre cheminots d’Infrabel qui réparaient un passage à niveau à Morlanwelz, en tuant deux sur le coup. Ce train a roulé au total 14 km avant d’en percuter un autre, qui avait été immobilisé suite à la coupure du courant sur la ligne. On connaîtra peut-être un jour la raison pour laquelle une partie de ce train s’est détachée du convoi principal. Il est probable qu’une fois de plus on tapera sur un lampiste en cherchant « l’erreur humaine » ou alors on mettra la faute sur un dysfonctionnement technique. L’émotion passée, l’enquête sera de toute façon enterrée et, comme à chaque fois, des ouvriers, des passagers seront morts ou blessés sans que rien ne soit fait pour remédier aux causes profondes du problème.
En 2001, l’accident de Pécrot faisait huit morts et a vu la SNCB condamnée pour défaut de prévoyance : pas de système de freinage automatique, manque de formation des jeunes conducteurs, etc. Mais il faudra attendre l’accident de Buizingen en 2010, qui a causé 19 morts et 162 blessés, pour que la SNCB se dote d’un plan pour équiper ses trains et ses lignes de systèmes de freinage automatique. Ces deux accidents ont été médiatisés, mais chaque année il y a plusieurs incidents majeurs, déraillements ou accidents, qui provoquent des blessés, sans compter la myriade d’accidents évités grâce aux réflexes des conducteurs.
Malgré tout, il faudra attendre encore cinq ans, soit 2023, pour que l’ensemble du réseau soit équipé du système de freinage automatique ETCS.
Les trains transportent 235 millions de passagers par an, essentiellement des travailleurs qui se rendent à leur travail. Et le rail reste le moyen de transport le plus sûr, bien plus en tout cas que la voiture. Pourtant, au lieu d’investir, l’Etat réduit le budget de la SNCB année après année. Le résultat est affligeant. En termes de sécurité d’abord. Mais aussi de ponctualité : en 2016, 38 000 trains ont été annulés et en 2017, entre 15% et 30% des trains sont en retard pendant les heures de pointe, et c’est parfois pire sur certaines lignes comme Liège-Bruxelles ou Mons-Bruxelles !
Le plan que vient de déposer la nouvelle direction, entérine une réduction des subsides publics de 200 millions par an. Cette coupe budgétaire fait elle-même suite aux restrictions imposées par les gouvernements précédents. Cela se traduira concrètement par la diminution des effectifs à 16 000 cheminots, soit 4 000 de moins qu’en 2014 – c’est 20% du personnel qui va disparaître. En pratique, seul un ou deux départs en pension sur cinq seront compensés par une embauche, en fonction des catégories de personnel. Aujourd’hui, le manque de personnel est déjà tel que les cheminots ne peuvent pas prendre leurs congés ou récupérer leurs heures supplémentaires, au point que la SNCB leur a récemment proposé de racheter les 56 000 jours de congé en souffrance.
Pour compenser cette baisse, Dutordoir, la dirigeante de la SNCB, veut imposer une augmentation de la productivité de 4% par an pendant encore 5 ans. Cela veut dire à la fois travailler plus, mais aussi gagner moins, en particulier en renonçant aux compensations pour le travail du dimanche ou des jours fériés.
Comment les trains peuvent-ils fonctionner de façon sécurisée et régulière alors que les effectifs, déjà insuffisants, vont être diminués ? A Morlanwelz par exemple, le conducteur du train de secours était seul et n’a pas pu voir les wagons se détacher. Et il n’y avait personne pour surveiller les voies là où les ouvriers travaillaient. Rien que ça aurait suffi à sauver leurs vies.
Pour les travailleurs qui empruntent chaque jour le train pour se rendre à leur travail, les retards et les annulations sont un poids de plus dans leur vie quotidienne. Les réductions budgétaires systématiques se sont traduites par une augmentation du prix des tickets, de 20% de plus que les autres prix.
Au 21ème siècle, il serait normal d’avoir un service de transports publics fiable et bon marché. Mais pour la direction de la SNCB, qui suit fidèlement la politique du gouvernement, ce n’est pas cela la priorité. Ce qui compte, c’est de réduire les budgets des services publics et tant pis pour les usagers, que ce soient ceux des trains, des écoles ou des hôpitaux. L’argent ainsi économisé sur leur dos sert à renflouer les caisses de l’Etat, vidées par les aides et les cadeaux fiscaux accordés généreusement aux entreprises et à leurs actionnaires.
L’accident de Morlanwelz est avant tout le résultat d’une politique criminelle qui sacrifie la sécurité des travailleurs en particulier, et l’intérêt public en général sur l’autel des profits d’une minorité parasite.

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