Editorial

La fin d’un dictateur, mais pas celle de la dictature

La chute de Bachar al-Assad réjouit à juste titre ceux qui ont subi sa dictature sanguinaire. Il avait conservé le pouvoir à Damas et sur une partie de la Syrie depuis la révolte de 2011, en utilisant contre la population une violence débridée, grâce à l’appui de la Russie et de l’Iran, mais aussi à la bienveillance des États-Unis et de l’Europe. Aujourd’hui, alors qu’Israël écrase Gaza et le Liban sous ses bombes, les soutiens russe et iranien ont fait défaut. L’armée d’Assad s’est effondrée en quelques jours et le groupe armé Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, s’est emparé de Damas.
Alep est tombée en trois jours, suivie dans la foulée de Damas, presque sans combat. L’armée de Bachar al-Assad n’a quasiment pas opposé de résistance. Cela a surpris dans une période où tous les projecteurs sont braqués sur les guerres d’Israël à Gaza et au Liban. Mais cette réactivation de la guerre syrienne, larvée depuis cinq ans après les violents combats et les centaines de milliers de morts de la décennie 2010, résulte directement des changements de rapports de force provoqués par les guerres d’Israël soutenues par les États-Unis.
Depuis 2011, la Syrie a été transformée en théâtre d’un affrontement entre les puissances, régionales et internationales, qui se disputent l’influence sur le Moyen-Orient. Après s’être toutes alliées pour combattre Daech, ces puissances se sont partagé la Syrie. Depuis le tournant des années 2020, le pays était découpé en plusieurs territoires. Le plus grand morceau était sous le contrôle de Bachar al-Assad soutenu par la Russie et l’Iran. Le Nord-Est est administré par les Forces démocratiques syriennes à majorité kurde, plus ou moins soutenues par les États-Unis. Le Nord-Ouest est contrôlé par des milices islamistes et par l’armée turque, tandis que la région d’Idlib, proche d’Alep, l’est par des milices semblables, en particulier l’organisation HTC, mais sans présence directe de l’armée turque. Ces milices sont soutenues notamment par l’Arabie saoudite.
Alep avait été reconquise en décembre 2016 par les troupes d’Assad, aidées par l’aviation russe, les Pasdarans iraniens et le Hezbollah libanais, au prix de terribles destructions et de déplacements de population. Mais depuis un an, le Hezbollah et l’Iran sont accaparés par la guerre que leur livre Israël. Depuis 2022, l’essentiel des forces militaires russes sont déployées en Ukraine. Le régime d’Assad s’en trouve affaibli. Selon plusieurs témoignages, les soldats d’al-Assad qui gardaient Alep, mal nourris, mal traités, n’ont opposé aucune résistance. Du fait de la corruption massive, de la répression systématique et des sanctions américaines qui perdurent, le régime d’Assad a perdu beaucoup du soutien qui lui restait dans la population. En outre, tout indique que les milices emmenées par HTC ont pu bénéficier de l’aide logistique et de livraisons d’armes venant de la Turquie.
Les dirigeants des pays qui justifient toutes leurs guerres par la lutte contre le terrorisme et l’islamisme, n’ont aucun scrupule à armer un groupe issu d’Al-Qaïda. Aujourd’hui, les dirigeants de HTC, toujours classés comme terroristes par les États-Unis, proclament qu’ils ont changé, qu’ils respectent tous les Syriens, qu’ils soient musulmans, chrétiens ou kurdes, pourtant menacés par l’armée turque. Pour se faire accepter de la population d’Alep et pour donner des gages aux dirigeants occidentaux, les chefs de HTC affirment que « la diversité sera une force et pas une faiblesse ».
L’avenir dira si les dirigeants impérialistes soutiendront le pouvoir de HTC et ses alliés. Aujourd’hui, ils se réjouissent de la chute d’al-Assad, mais ils se sont tous hypocritement tus quand il faisait le sale boulot contre Daesch et sa propre population. Rien ne les empêchera de pactiser avec HTC si ce groupe accepte de reprendre le rôle de gendarme régional. Israël a donné le ton en bombardant la Syrie et en envahissant le Golan : le nouveau pouvoir va devoir choisir son camp ; sinon, pour la population syrienne, ce sera la promesse de nouveaux affrontements, bombardements et destructions et peut-être du remplacement d’une dictature par une autre.
Personne ne peut dire ce que vont faire les vainqueurs et quelle sera l’attitude des États-Unis. Ce qui est sûr, c’est que dans un Moyen-Orient où l’impérialisme n’apporte que la guerre et les divisions entre peuples, la liberté et la paix ne pourront venir de ce type de « libérateurs », mais des travailleurs et de la population s’ils s’organisent pour exercer le pouvoir.


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