« La loi martiale ne signifie pas une déclaration de guerre » à la Russie, nous la décrétons « uniquement pour la défense », vient de déclarer le président ukrainien Petro Porochenko. Toujours est-il que l’Ukraine, qui a saisi le Conseil de sécurité de l’ONU, a aussitôt intensifié les bombardements des régions séparatistes prorusses du Donbass, où le bras de fer militaire entre Kiev et Moscou a déjà fait plus de 10 000 morts, des centaines de milliers de déplacés et d’énormes destructions.
Avec l’arraisonnement, le 25 novembre, de deux vedettes blindées et d’un remorqueur ukrainien par des garde-côtes russes au large de la Crimée, opération dans laquelle six militaires ukrainiens ont été blessés, la pression est brusquement montée de plusieurs crans entre l’Ukraine et la Russie. Ces deux États voisins sont de plus en plus opposés depuis qu’en 2014, la Crimée a été annexée par la Russie, aux dires du gouvernement de Kiev, ou a regagné le giron de la mère-patrie, dans la version du Kremlin.
Les autorités russes nient que les Ukrainiens leur aient transmis un plan de navigation, ce que Kiev dément. Mais peu importe qui dit vrai, le plus probable est que chaque camp a voulu tester l’autre : Kiev, en envoyant des navires avec 46 militaires à bord, plus des officiers de renseignements, ce que la SBU (l’ex-KGB ukrainien) a reconnu ; Moscou, en les bloquant par la force. Et il n’est pas nouveau que des incidents maritimes amènent les deux pays au bord d’un affrontement à propos de l’accès à la mer d’Azov, un grand golfe ouvrant sur la mer Noire que, depuis 2003, la Russie et l’Ukraine ont en théorie convenu de se partager.
Mais, depuis que la Crimée est redevenue russe, la mer d’Azov l’est en quelque sorte aussi. En effet le détroit de Kertch, qui permet d’aller de mer Noire en mer d’Azov, est bordé par des terres appartenant à la seule Russie. Elle a donc les moyens de bloquer cette voie cruciale pour les exportations de céréales et d’acier produits dans l’Est ukrainien, qui n’a pas d’autre débouché. C’est un atout aux mains de Moscou pour faire pression sur Kiev, toujours plus tenté de rompre les amarres avec la Russie.
Mais l’Ukraine est vue par les grandes puissances occidentales, États-Unis en tête, comme un allié de choix dans leur volonté de restreindre la zone d’influence du Kremlin, s’agissant de l’autre grande république ex-soviétique. Le pouvoir ukrainien considère donc qu’il peut compter sur l’aide occidentale contre Moscou. Cette aide est politique, financière, économique, mais aussi militaire, ce que confirment la mort d’un officier pilote américain lors du crash accidentel d’un avion militaire dans l’ouest du pays, tout comme les informations sur les fournitures d’armements américains et canadiens aux troupes de Kiev.
Et puis, à l’approche de l’élection présidentielle ukrainienne, prévue en mars, dans laquelle les sondages donnaient récemment Porochenko battu, ce dernier n’est pas mécontent d’apparaître comme un chef de guerre, derrière lequel tout le pays devrait faire front. En outre, la loi martiale décrétée pour un mois lui permet de reprendre en main les médias, d’interdire les rassemblements publics, au moins dans toutes les régions frontalières. Et cette loi est renouvelable. Jusqu’aux élections ?
À moins qu’à force d’escalade dans la préparation à la guerre – ce que signifie l’expression loi martiale – une provocation de trop ne déclenche un embrasement encore plus terrible que la guerre larvée du Donbass.