La manifestation du 7 octobre a rassemblé environ cent mille travailleurs. C’est beaucoup. Et pourtant, les syndicats qui l’organisaient n’avaient pas réellement cherché à mobiliser dans les entreprises. Ils n’avaient pas non plus décrété une grève générale, ce qui aurait donné à la journée un caractère bien plus radical. Pourtant, les travailleurs ont montré par leur nombre à quel point ils trouvent nécessaire de se mobiliser contre les attaques du gouvernement Michel. Il était d’ailleurs frappant que beaucoup des manifestants venaient de leur propre initiative, avec leurs propres panneaux improvisés et sans l’encadrement d’un syndicat.
Evidemment, une seule manifestation ne suffira pas. Surtout quand elle vient près d’un an après la précédente, en décembre 2014 ! Or, le gouvernement annonçait déjà à l’époque clairement son attaque principale contre les pensions: le report de l’âge de la retraite à 67 ans.
A la suite de la manifestation, Charles Michel a déclaré qu’il ne changerait pas une virgule à ses plans.
Quelques jours après, la deuxième vague du « tax shift » était annoncée, aussitôt applaudie par la FEB, le syndicat du grand patronat, qui s’est déclaré « heureuse ». L’UCM, le syndicat des petits patrons, y voit un « bol d’air ».
Le tax shift était présenté par le gouvernement comme le moyen de rétablir une certaine justice sociale, comme une monnaie d’échange pour faire accepter les attaques contre les pensions et le pouvoir d’achat des travailleurs.
Les mesures annoncées ce week-end montrent que ce n’était évidemment que de la monnaie de singe ! Le gouvernement parle de 100 euros en plus pour les bas salaires. Non seulement ce montant est ridiculement insuffisant par rapport aux besoins des couches populaires, mais en plus il ne sera atteint qu’en 2020. Il ne s’agit que d’un montant maximal applicable à certaines catégories de travailleurs, comme les isolés. Pour les ménages, par exemple, le montant en jeu est bien inférieur.
Enfin, puisqu’il s’agit de réductions d’impôts, les patrons ne vont pas verser un euro de salaire en plus. C’est donc l’argent de la collectivité qui va servir à financer la mesure via des augmentations des taxes sur le tabac, le diesel, les boissons et à la récente hausse de la TVA sur l’électricité.
Ainsi, selon le gouvernement, ce seraient les travailleurs qui devraient payer aujourd’hui ce qu’ils vont peut-être recevoir dans trois ou quatre ans ! Mais surtout, les charges patronales qui servent à financer la sécu vont baisser, tandis qu’augmentent les taxes et la TVA, des impôts particulièrement injustes car ils touchent indistinctement le chômeur et le grand patron du BEL 20. Voilà ce qu’ils appellent un « allègement » de la charge fiscale des travailleurs.
Charles Michel a parlé de mesure « historique ». Or, tous les gouvernements précédents ont appliqué exactement la même politique de réduction des charges patronales, à la nuance près que le patronat a plus l’oreille des libéraux et des nationalistes. Louis Michel a beau avoir placé une fois ou deux le mot « social » dans son discours à la chambre, cela n’a pas amoindri la satisfaction des organisations patronales.
La crise économique, comme toujours, justifie cette politique. Le ministre NV-A des finances, Van Overtveld, a prétendu que le tax shift allait créer des milliers d’emplois, même s’il avoue dans la même phrase qu’il ne sait pas vraiment combien. Certains se rappelleront peut-être les deux cent mille emplois que Verhofstadt avait promis comme résultat de la baisse des charges patronales… en 2003. Les patrons ont empoché les réductions de charges mais personne n’a vu la couleur des emplois. Depuis, les ministres sont plus prudents dans leurs annonces, mais leur politique ne change pas : ils prétendent toujours que les réductions budgétaires, l’austérité, les sacrifices des travailleurs servent à redresser l’économie et que cela serait bénéfique pour les travailleurs.
Sauf que depuis l’époque, il n’y a plus grand monde qui croit à ce genre de fables. La crise économique a bon dos. Elle n’a pas empêché les riches de s’enrichir encore plus. Au contraire, plus il y a de travailleurs précaires à la frontière de la pauvreté, plus les patrons en profitent.
La seule solution réaliste est que le monde du travail, par sa mobilisation, change le rapport de force. Il faut que nous nous fassions entendre, mais surtout que nous leur fassions peur, sinon, pourquoi cèderaient-ils quoique ce soit ? Au contraire, ils continueront à prétendre que leur profits sont la garantie du bien-être collectif !