Depuis le début de la soi-disant « crise des migrants », les Etats européens ont pris des mesures de fermeture des frontières qui semblent remettre en cause la libre circulation des personnes en Europe établie depuis les années 90 avec le traité de Schengen. En parallèle, les négociations avec l’Angleterre, qui réclame de pouvoir s’affranchir des règles d’égalité entre citoyens européens, donnent, elles aussi, l’impression que « l’idéal européen » est en train de prendre l’eau. Mais l’histoire de la construction européenne montre que cet idéal n’est en réalité qu’une mince couche décorative qui masque mal des intérêts bien plus terre à terre.
Depuis la fin du 19ème siècle, le problème qui se posait aux pays européens développés, en particulier l’Angleterre, la France, l’Allemagne et aussi la Belgique était que leurs entreprises étaient déjà capables de fabriquer pour un marché bien plus large que la population de chacun de ces pays. Après la Deuxième Guerre mondiale, certaines des plus grandes entreprises industrielles, plus modernes, étaient encore plus performantes et étouffaient encore plus entre les limites de leurs frontières nationales.
Les capitalistes européens rêvaient à la puissance des entreprises américaines qui travaillaient pour un marché de plusieurs centaines de millions d’habitants. Mais en Europe, ils étaient limités par leur population nationale, par les barrières douanières et les réglementations différentes et surtout par les fluctuations des monnaies nationales.
C’est ainsi que prit corps l’idée d’un marché unique à l’échelle de l’Europe, d’un marché commun sans frontières, sans douanes et avec des législations économiques uniformes.
Cela n’alla pas sans mal.
Il a fallu des dizaines d’années pour que l’Europe des six devienne celle des douze, des quinze, jusqu’aux 27 d’aujourd’hui. Les États restaient tiraillés entre la nécessité de s’unir pour créer un marché de taille suffisante et le souhait de maintenir leurs prérogatives pour défendre chacun les intérêts de ses propres capitalistes, de ses industriels dans la guerre économique et la concurrence générales.
L’Union Européenne trouve son origine dans les impératifs économiques des marchands, des industriels, des financiers et pas du tout dans un idéal de vie commune, de citoyenneté européenne et de liberté de circulation. Ces notions ont été introduites bien plus tard pour tenter d’obtenir l’adhésion des populations.
La liberté de circulation des individus a été précédée par la liberté de circulation des marchandises qui avait un intérêt bien plus important aux yeux des capitalistes. Et quand Schengen a enfin acté la fin de contrôles aux frontières internes, c’est avec l’arrière-pensée de pouvoir faire aussi circuler la main d’œuvre…
Mais Schengen s’est assorti d’un accroissement de la surveillance des frontières extérieures de l’Europe. Les frontières n’ont donc été que déplacées… et renforcées, en particulier par une limitation drastique du droit d’asile pour les candidats réfugiés.
L’Europe capitaliste s’est bâtie comme une forteresse, refoulant la misère à l’extérieur. Mais sans pour autant créer de bien-être à l’intérieur puisqu’on a vu comment la pauvreté et les inégalités se sont développées dans tous les pays européens. Pour exploiter la population laborieuse, pour généraliser la précarité, là, les capitalistes et les gouvernements à leur service, sont unis.
Pourtant, l’unification des pays européens aurait constitué un progrès réel en mettant un terme aux divisions entre les peuples. Ce que l’histoire a montré, c’est que la bourgeoisie a été incapable de le faire. Et ce n’est pas faute de disposer de politiciens à la hauteur, mais parce qu’elle est d’abord et avant tout préoccupée des ses profits immédiats.
Seul le monde du travail peut faire tomber ces frontières héritées du Moyen Age, unir les peuples et mettre un terme au gâchis et au gaspillage de l’économie capitaliste. Pour cela, le combat commence dans notre pays, contre nos propres patrons, nos propres gouvernants.