Depuis plusieurs années, les différentes puissances régionales, la Turquie, l’Iran ou l’Arabie saoudite sont intervenues en Syrie par le biais de milices de plus en plus dominées par des combattants djihadistes, avec la protection plus ou moins ouverte de grandes puissances espérant abattre le régime syrien. Face au chaos créé, c’est finalement le régime syrien qui a remporté la bataille avec l’appui militaire de la Russie.
Voulant maintenant rétablir son contrôle sur tout son territoire, il veut réduire la poche d’Idlib, où se sont concentrées les milices djihadistes chassées du reste du pays. Le régime turc, lui, voudrait camoufler cet échec de sa politique en continuant de protéger ces milices, quitte à y sacrifier quelques soldats.
Mais ça ne se passe pas tout seul, le régime syrien réplique et, derrière lui, la Russie veille. Dans l’espoir de forcer les pays européens à la soutenir, Erdoğan a menacé d’ouvrir ses frontières vers l’Europe aux réfugiés syriens en Turquie. En effet, la principale victime d’une décennie de guerre est la population syrienne, déplacée par millions dans des camps de réfugiés, en Syrie, en Turquie, en Jordanie ou au Liban. Celle de la région d’Idlib subit de plein fouet cette nouvelle bataille. Plus d’un million d’habitants ont été jetés sur les routes, refoulés à la frontière turco-syrienne, empêchés de trouver un havre quelque part.
Trompés par l’annonce de l’ouverture des frontières claironnée par le gouvernement Erdoğan, des réfugiés arrivent par milliers en Grèce, dans les îles et à la frontière nord avec la Turquie. Ils s’imaginaient que l’Europe leur était ouverte. Ils ont vite compris que leur malheur continuait.
Au nord, dans la boue et le froid, ils se retrouvent à plus de 10 000, coincés entre la police et les gardes-frontières grecs d’un côté, et des policiers turcs de l’autre qui souvent leur interdisent de rebrousser chemin. Ceux qui tentent de traverser le fleuve Evros pour mettre le pied en Grèce se font renvoyer de l’autre côté, certains dépouillés de leurs papiers et de leur argent.
Dans certaines îles, la situation est encore plus tendue. À Lesbos, où le camp de Moria héberge 16 000 réfugiés, huit fois plus que la capacité officielle, de petits groupes enragés par la situation et manipulés par l’extrême droite se manifestent. Les reportages ont montré des scènes, jamais vues jusque-là, où des hommes armés de bâtons hurlaient aux réfugiés recroquevillés dans un bateau qui tentait d’accoster : « Dégagez, rentrez en Turquie ! » La grande majorité de la population ne les suit pas mais est épuisée par une situation intenable, pour elle et pour les migrants.
Le chef du gouvernement très conservateur, Mitsotakis, a consacré ses premiers déplacements à aller féliciter les policiers et gardes-frontières du nord de la Grèce pour leur zèle ; une façon de flatter à la fois le réflexe patriotique antiturc et les sentiments xénophobes des forces de répression, et de son électorat.
La situation est catastrophique pour ces femmes, ces hommes et ces enfants fuyant la guerre et la misère, ballotés de pays en pays, considérés comme des pions par les gouvernements des pays où ils vivent.
On risque un désastre humanitaire, clament les gouvernements de l’Union européenne à propos des réfugiés d’Idlib à qui Erdoğan refuse l’entrée en Turquie. De son côté, Erdoğan se sert des réfugiés syriens pour exercer un chantage sur ces gouvernements. Mais qui est le plus ignoble dans cette situation ? Est-ce Erdoğan, dirigeant dictatorial promu gardien de prison de plus de trois millions de réfugiés, moyennant 6 milliards d’euros d’aides européennes, ce qui n’est pas si cher pour ses commanditaires ? Ou bien est-ce ceux qui l’ont payé pour garder sur son sol des migrants dont ils ne veulent pas, ces gouvernants européens qui, finalement, se plaignent de ne pas en avoir pour leur argent ?
Ministres et chefs d’État européens n’ont à la bouche que « les droits de l’homme et les valeurs qui nous unissent ». Mais ils les mettent tranquillement sous le tapis en refusant d’accueillir les réfugiés et en érigeant de plus en plus de murs en Europe.
Ce qui se passe aujourd’hui aux frontières de la Turquie, de la Syrie mais aussi de l’Union européenne n’est qu’un épisode de plus dans une guerre qui ensanglante la région depuis des années et qui se solde déjà par la destruction de pays entiers.
La catastrophe est déjà là et les responsables sont tout désignés : ce sont les mêmes qui participent à l’exploitation des richesses du monde et aux guerres qui transforment des millions d’êtres humains en migrants.