La Coupe du monde de football fait la une de l’actualité, au Brésil sans doute encore plus qu’ailleurs. Les grèves et manifestations de ces dernières semaines ne « menaçaient » pas la Coupe, contrairement à ce que répètent le gouvernement et les médias. Les travailleurs qui y ont participé ne voulaient pas empêcher la Coupe, mais la mettre à profit pour souligner la corruption et le gaspillage qui l’accompagnent, et pour dire que la santé, l’éducation et les transports mériteraient d’être traités au moins à l’égal du football. C’est ce qu’ils ont tenu à affirmer le 12 juin, jour de l’ouverture.
Ce jour-là, il y a eu des actions dans presque toutes les grandes villes où se déroule la Coupe. À Sao Paulo, la veille au soir, les grévistes du métro avaient décidé majoritairement d’arrêter leur mouvement. Mais ils manifestaient le matin du 12 juin contre les 42 licenciements qui les frappaient. La police les a violemment refoulés. Omniprésente tout autour du stade où allait se jouer le match inaugural, elle s’en prenait aux Noirs, aux barbus, à tous ceux qui lui semblaient de possibles contestataires.
À Rio, une manifestation a parcouru le centre-ville, revendiquant des fonds pour la santé et l’éducation, scandant des mots d’ordre tels que « 30 jours : 30 milliards », parlant du coût de la Coupe en monnaie locale, ou « Les éboueurs valent plus que Neymar », comparant les récents grévistes à la star de l’équipe nationale. Un peu plus tard, c’est une des principales avenues de Copacabana qui a été bloquée.
Ces actions, comme celles qui se sont déroulées le même jour à Fortaleza, Belo Horizonte, Porto Alegre et Recife, ou les jours suivants à Bahia, Brasilia et Natal, ont rassemblé des centaines de personnes. Preuve de leur force potentielle, la police les a surveillées de près, quand elle ne les a pas réprimées. Elles ont rappelé que pour la population laborieuse il y a d’autres problèmes que la Coupe, plus graves et plus présents, et qu’il est urgent de les résoudre.
D’autres manifestations, d’autres luttes animeront-elles le mois que va durer la Coupe ? Cela ne dépend pas seulement des gouvernants et des militants. Un acte de violence ou d’arbitraire de la part de la police ou des organisateurs peut servir de détonateur à une révolte qui couve en permanence et que la passion du football fait provisoirement taire. Le gouvernement brésilien et la Fifa le savent et le redoutent.
La FIFA est d’abord une vaste organisation politique et commerciale. Elle ne fut pas gênée par l’attribution du Mondial 1934 à l’Italie, pour le bonheur de Mussolini qui utilisa l’événement en soutien au fascisme. En 1958, pendant la guerre d’indépendance, le FLN algérien constitua une équipe nationale, composée de joueurs qui quittèrent les clubs français qui les employaient ; cette équipe disputa de nombreuses rencontres mais fut interdite de compétition internationale, la FIFA prenant le parti de la France coloniale. En 1978, la dictature des généraux argentins put redorer son blason en organisant le Mondial, malgré un mouvement pour le boycott dans plusieurs pays.
La FIFA est aussi une vaste organisation d’affaires, comme l’illustre le scandale de la corruption qatarie. Installée en Suisse, elle s’appuie sur de grands partenaires commerciaux, avec lesquels elle négocie des contrats d’exclusivité : Adidas, Coca-Cola, Sony, Visa, Hyundai-Kia Motors, etc. Pour maximiser ses profits, elle fait signer aux pays hôtes un contrat inégal. Ce contrat crée ainsi des zones d’exclusion commerciale autour des stades, interdites à tous les vendeurs ambulants qui ne seraient pas enregistrés. Au Brésil, cela concernerait peut-être 300 000 vendeurs, dont une partie s’est mobilisée contre cette pratique qui les prive de leur gagne-pain. Mais la Coupe du monde au Brésil devrait rapporter à la FIFA 5 milliards d’euros, et il faut donc que tout se passe comme prévu. Autrement dit, il ne faudrait pas que le dénuement et la colère des pauvres empêchent les riches de faire des affaires. Une morale qui est bien celle de la FIFA