Pendant 13 jours, les 5 700 ouvriers de Renault Bursa en Turquie ont fait grève et occupé leur usine pour exiger des augmentations de salaire, afin de compenser une inflation de plus de 20% par an, ainsi que pour la liberté de choisir leur syndicat.
Un mois auparavant, une grève chez Bosch, dans la même zone industrielle, avait permis aux ouvriers d’obtenir des hausses de salaire allant de 12% à 60%.
Un important mécontentement se fait en effet sentir dans les usines de l’ouest de la Turquie où l’inflation est à l’origine d’un effondrement dramatique du pouvoir d’achat des travailleurs. Mais le syndicat implanté dans la majorité des usines de la métallurgie est le syndicat Türk-Metal-is qui est dévoué au grand patronat et dont les dirigeants sont influencés par l’extrême droite. Fin 2014, Türk-Metal-is a signé un accord de trois ans prévoyant une hausse de salaire de… 3%. Et quand, en janvier, le syndicat concurrent Disk a tenté d’appeler à la grève sur ce problème, le gouvernement l’a purement et simplement interdite.
Néanmoins, les ouvriers de Bosch ont quand même fait grève et ils ont rapidement obtenu gain de cause. Leur revendication d’une augmentation de salaire de 130 euros par mois fut alors reprise par ceux de Renault.
Dans ce pays où règnent la répression, la dictature du grand patronat, l’absence de liberté syndicale, le mouvement de Renault a débuté par des gestes simples de rébellion collective : des vacarmes dans les cantines, des manifestations dans l’usine après le travail, puis dans le centre-ville. Les liens entre travailleurs se sont ainsi renforcés. Le signal de la grève fut donné le 14 mai par le licenciement de quatorze travailleurs qui avaient mis fin à leur adhésion à Türk-Metal-is. L’équipe de nuit débraya aussitôt. Pensant couper court au mouvement, le directeur se déplaça en pleine nuit devant l’usine arrêtée pour annoncer la réintégration des travailleurs licenciés. Mais cela ne fit qu’encourager les travailleurs et lorsque la direction confirma qu’elle refusait toujours d’augmenter les salaires, cela entraîna immédiatement la grève et l’occupation totales de l’usine.
Les revendications des grévistes d’Oyak Renault furent rapidement reprises par les travailleurs d’autres usines de la région : refus de tout licenciement, rejet du syndicat mafieux Türk-Metal-is et augmentation des salaires comme chez Bosch. Bientôt, avec ceux de Fiat à Tofas, près de 16 000 ouvriers étaient en grève, occupant jour et nuit leur usine.
Chez Renault, les grévistes ont élu leurs propres délégués d’atelier, rendant compte en assemblée générale des rencontres avec la direction ou avec la police. Les décisions étaient prises en assemblée par vote à main levée ou acclamations.
Devant les menaces proférées par les autorités, les grévistes ont voté de ne plus se rendre aux convocations de la police, commentant : « Si le préfet a quelque chose à dire, qu’il vienne devant l’usine ».
Le mouvement s’est étendu à d’autres usines des zones industrielles de Bursa, de la grande banlieue d’Istanbul et d’Izmit : Fiat, Valeo et Delphi à Tofas, Türk Traktör à Ankara ont débrayé puis, à leur tour, les 8 000 travailleurs de Ford Otosan à Izmit sont entrés en grève le 18 mai sur les mêmes revendications, élisant leurs propres délégués et annulant leur adhésion à Türk-Metal-is.
Le patronat de la métallurgie semble hésiter à faire appel aux forces de police, postées non loin des usines, en particulier sans doute à cause de la proximité des élections législatives prévues le 7 juin.
Contrairement à ce que prétend la propagande patronale, le mouvement continue à s’étendre à d’autres villes comme Izmir où les ouvriers de l’usine de jantes CMS ont obtenu une prime de 330 euros après avoir seulement distribué un tract menaçant de faire grève. Des villes moyennes sont touchées à leur tour.
Les grévistes d’Oyak Renault ont repris le travail le 27 mai au matin, à la suite d’un accord garantissant l’absence de sanctions, le maintien des délégués élus par les ouvriers comme seuls interlocuteurs valables – ce qui sape en partie les bases du pouvoir de Türk-Metal-is –, 200 euros de prime annuelle garantie, 500 euros pour la reprise et l’assurance que l’accord salarial sera revu dans le mois qui vient.
Ce succès ne pourra qu’encourager les milliers de travailleurs qui continuent à se battre pour survivre face à un patronat rapace. Comme le dit un slogan des grévistes :
« Si tu ne veux pas te retrouver à la rue, lutte ! ».