Les élections en Turquie dimanche 1er novembre ont donné au parti AKP une majorité au parlement avec 40,5 % des votes, ce qui leur donne 316 sièges sur 550.
Les sondages avaient prédit qu’Erdogan allait perdre sa majorité, comme cela s’était déjà produit lors des élections du 7 juin dernier. Pourtant, le résultat de dimanche n’est pas très étonnant. Toute la campagne s’est déroulée dans un climat de peur, de violence et de répression des partis d’opposition.
Les locaux du grand quotidien turc Hürriyet ont été saccagés deux fois par une foule emmenée par un député AKP. Ce parti a menacé du retour des bandes d’extrême-droite sévissant pendant les années 90, les « loups gris », et lancé des appels aux meurtres contre les opposants. Début septembre, dans plusieurs villes, les locaux du parti de gauche HDP ont été mis à sac et des commerces kurdes détruits. Des journalistes ont été emprisonnés, deux attentats ont ciblé des manifestations de la gauche, faisant des dizaines de victimes. La violence était telle que l’opposition a décidé de ne plus organiser de meetings par crainte des attentats. Les dernières semaines de la campagne, seul l’AKP a pu organiser des manifestations, preuve s’il en est que ce parti sait que lui ne sera pas menacé par des attaques à la bombe… Le message que voulait lancer l’AKP c’était « nous ou le chaos ». Erdogan l’a fait savoir par la force, en utilisant le pouvoir de l’appareil d’Etat qui est entre ses mains pour semer la peur et contraindre toute opposition au silence. Le 29 octobre, les éditoriaux de deux journaux étaient censurés et la veille, deux télévisions avaient dû cesser d’émettre, leurs locaux ayant été envahis par la police. Durant la campagne, 190 locaux du parti HDP ont été détruits, 500 de ses militants ont été arrêtés, 258 personnes sont mortes, dont 38 enfants, 49 journalistes ont été interpellés et 24 sont en prison. Le talon de fer d’Erdogan se fait sentir en dehors même de la Turquie. A Schaerbeek, le 1er novembre, des militants de l’AKP ont détruit, sous les yeux de la police, le local du parti social-démocrate CHP. Même la commission parlementaire du Conseil de l’Europe a fait remarquer que la répression et la violence avaient perturbé les élections ! Mais pour les chefs d’Etat européens, cela importe peu car il convient d’abord de ne pas importuner un allié qui accueille 2 millions de réfugiés syriens.
L’AKP a aussi pu remporter ces élections en jouant la carte nationaliste. En relançant la guerre contre les Kurdes, Erdogan a pu se rallier les voix du parti de droite nationaliste MHP.
Ce scrutin est évidemment une victoire pour le parti islamiste et son dirigeant Erdogan. Mais si la moitié des électeurs ont voté pour eux, l’autre moitié ne l’a pas fait. Surtout, il faut juger cette victoire pour ce qu’elle est : une victoire électorale. Or, ce ne sont pas les urnes qui décident du sort d’une société, au mieux elles sont un indicateur de ce qui l’agite. Le mouvement ouvrier turc n’a pas été défait. Pour l’instant, il est resté en retrait et ne s’est pas encore exprimé. Bien sûr, rien ne dit qu’il le fera et nous n’avons pas de boule de cristal pour lire l’avenir. Par contre, nous pouvons nous appuyer sur l’histoire. A plusieurs reprises au cours du XXème siècle, les travailleurs turcs ont montré leur combativité. Par deux fois, en 1971 et en 1980, la bourgeoisie a dû recourir, avec l’aide des impérialistes américains, à des coups d’Etat militaires contre la classe ouvrière sans parvenir à la mettre à genoux.
Aujourd’hui, il est probable qu’Erdogan voudra mener la guerre à l’extérieur, en Syrie, en vue de contenir la lutte des classes à l’intérieur. Rien ne dit qu’il parviendra à imposer ce choix politique à l’armée. Quoiqu’il arrive, les travailleurs n’ont, eux, d’autre choix que de résister.