Soixante-cinq ans après la fin de la guerre de Corée qui a partagé le pays, Donald Trump et Kim Jong-un se sont rencontrés à Singapour. Ce sommet marque-t-il un tournant durable dans la politique américaine en Corée ou sera-t-il effacé par un tweet rageur de Trump, comme à son habitude ? Ce qui est sûr, c’est que la partition de la Corée, l’isolement de la Corée du Nord, l’embargo qui pèse sur sa population et les menaces militaires qui alimentent le nationalisme exacerbé du régime nord-coréen, ont été voulus et entretenus par les dirigeants des États-Unis depuis les années 1950. Si ces derniers devaient changer leur politique, ce ne serait pas par volonté pacifiste, mais pour défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine dans un nouveau contexte, en particulier face à la Chine.
Quoi qu’en disent les médias occidentaux, la Corée du Nord n’a jamais été ni un régime communiste ni un « pays de fous ». Ce régime nationaliste fut mis en place au nord du pays, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, après que l’impérialisme américain, dont les troupes occupaient le Sud, y eut installé une dictature fantoche. En 1950, Washington usa de toutes ses ressources militaires pour s’opposer à une tentative de réunification du pays par les troupes nord-coréennes. Ce fut la guerre de Corée, qui se termina en 1953, après avoir fait trois millions de morts. Depuis cette date, la Corée du Nord n’a cessé de subir un embargo imposé par l’impérialisme américain, qui a étouffé son développement.
Tous les dictateurs nord-coréens qui se sont succédé ont cherché à rompre cet isolement économique forcé. Par des échanges avec l’ex bloc de l’Est puis avec la Chine. La population de Corée du Nord a payé très cher ce blocus de plus d’un demi-siècle. En 2006, tandis que la Corée du Sud mettait un terme aux relations économiques avec le Nord, celui-ci commença ses essais balistiques et nucléaires, se dotant ainsi d’un atout pour une future négociation avec l’impérialisme, la « dénucléarisation » du pays.
C’est cette stratégie que Kim Jong-un aura menée à son terme, au travers de sa surenchère avec Trump. Ce dernier a pu ainsi se poser en leader du monde dit démocratique, tout en sachant fort bien que le seul but du dictateur nord-coréen était de négocier. De son côté, le gouvernement sud-coréen joue la désescalade, au moins depuis des mois. La Corée du Sud serait la première cible d’un conflit militaire avec le Nord. Et après neuf ans de pouvoir du parti de droite héritier politique de la dictature militaire, l’élection au printemps 2017 de Moon Jae-in, démocrate ex-oppositionnel à cette dictature, a opportunément offert à la bourgeoisie sud-coréenne la possibilité de mener une politique d’ouverture en direction de la Corée du Nord.
La bourgeoisie sud-coréenne a toujours été soumise à la politique des États-Unis, car elle leur doit tout. Ce sont les financements américains associés à la guerre froide qui ont permis au pays de s’industrialiser. Cela a été fait dans le cadre d’un étatisme et d’une dictature militaire féroce qui n’avaient rien à envier au régime du Nord mais qui avaient le soutien politique, militaire et financier des États-Unis. Et c’est en mettant la main sur des pans entiers de cette économie étatisée qu’une bourgeoisie rachitique liée à l’appareil de la dictature a pu se retrouver à la tête de véritables empires industriels, les chaebols, que sont Samsung, LG, Hyundai, Lotte ou Daewoo. Et même si la Corée du Sud est toujours l’alliée indéfectible des États-Unis, ces chaebols ont aussi leurs intérêts spécifiques.
Les aspirations à une réconciliation existent dans la population des deux Corées. Comme bien des frontières dans le monde, celle qui déchire la péninsule coréenne est une absurdité sanglante. Elle a séparé des familles, créé une tension militaire permanente et, aujourd’hui, elle illustre toute l’aberration d’un pays coupé en deux avec d’un côté un manque de moyens et d’infrastructures, et de l’autre une industrialisation moderne et une économie puissante. Trump peut faire le choix temporairement d’atténuer les tensions avec la Corée du Nord, rien ne garantit qu’il ne changera pas d’avis aussi vite dans un sens qu’il l’a fait dans l’autre, pour les besoins de l’ordre impérialiste régional.