La procédure de confirmation du nouveau président américain, Joe Biden, a été interrompue par une foule furieuse de partisans de Trump, arborant des casquettes à son effigie et parfois armés, qui a envahi le Capitole de Washington, où se trouvent l’assemblée nationale et le Sénat. Cela ne s’était jamais vu en deux cent ans d’histoire des États-Unis.
La police a été complètement débordée. Il a fallu des heures pour que la garde nationale soit appelée en renfort et elle est arrivée au compte-gouttes. Il était frappant de voir la mollesse avec laquelle la police a fait évacuer les lieux, repoussant lentement des émeutiers qui n’avaient pas trop l’air de s’en faire. Il n’y a eu que quelques dizaines d’arrestations et ni blindés ni hélicoptères militaires comme c’est le cas lors des manifestations de Black Lives Matter. On ne peut s’empêcher de penser que si les manifestants avaient été noirs, ils auraient été tués avant même de s’approcher du bâtiment.
En tout cas, les responsables de la police ne peuvent pas prétendre ne pas avoir été au courant, puisque cela fait des semaines que Trump appelle ses troupes à manifester contre le résultat des élections et qu’elles ont déjà montré ce dont elles étaient capables dans leurs débordements contre le port du masque ou en attaquant les manifestants de Black Lives Matter, sans d’ailleurs jamais être inquiétées par la justice.
Les “ultras” de Trump sont un mélange hétéroclite de tout ce que le capitalisme américain rejette par en bas : petits patrons menacés par le grand commerce, indépendants anti-impôts qui voudraient exploiter leurs salariés sans contraintes, fermiers ruinés et toute une clique de suprématistes blancs, pro-nazis et tenants de diverses sectes complotistes.
Certes, on peut trouver choquant que le président de la plus grande puissance du monde, qui donne des leçons de « démocratie » au monde entier, appelle ses supporters à monter à l’assaut du congrès parce qu’il refuse de reconnaître sa défaite aux élections. L’ancien président Bush a comparé la situation à celle d’une « république bananière » ! Une partie des élus républicains, ceux dont la base électorale est plus modérée, ont fini par lâcher Trump plus ou moins ouvertement. Après trois ans, onze mois et vingt jours de soutien sans faille, on ne peut pas vraiment parler de courage politique !
Ce coup d’éclat de Trump, qui pourrait le faire passer, une fois de plus, pour un fou furieux, est un calcul politique. Il fait passer un message à ses électeurs auxquels il dit « je vous ai compris » et je suis avec vous contre le système. En même temps, il fait une démonstration de force vis-à-vis des autres républicains qui seraient un peu trop pressés de retourner leur veste.
Ce n’est donc pas parce que Trump va quitter le pouvoir que sa politique ne va pas continuer. Car Trump n’est pas un clown de foire arrivé là par accident. Les gesticulations, c’est pour la galerie, c’est pour démontrer sa capacité à récolter des voix sur son nom ; mais, en réalité, il a été soutenu dès le début et continue à être soutenu par une partie importante de la grande bourgeoisie américaine, celle qui domine le monde et qui compte sur lui pour maintenir l’ordre social dans un pays où les inégalités sont parmi les plus importantes du monde. Il est en ce sens comparable à un Orban ou à un Bolsonaro qui, eux aussi, jouent aux amis du peuple avec un programme économique et politique anti-ouvrier. Trump s’attaque à la Chine au nom de l’emploi américain, alors que la première menace sur l’emploi vient des patrons américains eux-mêmes.
Il n’y a pas et ne peut pas y avoir de réelle démocratie dans un système capitaliste, quand une minorité de grandes familles ultra-riches tient entre ses mains le pouvoir économique, a quasiment un droit de vie et de mort sur des millions de travailleurs, et le pouvoir de faire ou défaire les présidents. Malgré tout, la démocratie, même à la sauce bourgeoise, est un cadre qui permet aux travailleurs de s’organiser et de défendre leurs droits, leurs emplois et leurs salaires.
En revanche, cette attaque montre la fragilité des acquis démocratiques et qu’une partie de la grande bourgeoisie est prête à soutenir des politiciens avec un programme répressif. Les ultras de Trump seront les premiers recrutés pour briser les grèves ou assassiner militants politiques et syndicalistes.
Biden, s’il n’est pas aussi riche que Trump, sert tout autant les intérêts patronaux. Il a déjà promis d’injecter des milliers de milliards de dollars dans l’économie, qui serviront avant tout à augmenter les profits des grands actionnaires. Contre les attaques directes d’un Trump et de ses nervis ou celles, plus doucereuses, d’un Biden, les travailleurs ne peuvent compter que sur eux-mêmes, leur détermination et leur mobilisation.