Cela fait sept mois que les troupes russes sont entrées en Ukraine. De toute évidence, Poutine n’a pas réussi son pari de prendre le contrôle de Kiev, ni même de l’ensemble des régions russophones de l’Est. En re-vanche, avec l’aide des Etats-Unis et des pays euro-péens, l’Ukraine a mené une contre-offensive qui a obligé l’armée russe à reculer après avoir essuyé de lourdes pertes – on parle de 50 000 morts depuis le début de l’offensive. Son avantage numérique n’a pas suffi à compenser sa désorganisation et la fourniture par l’Occident d’armes extrêmement modernes à l’armée ukrainienne.
Face à ces revers, Poutine a décrété une mobilisation « partielle » de tous les réservistes, les anciens mili-taires, en âge de combattre.
Il est difficile de se faire une idée de l’adhésion de la population russe à cette guerre. Dès le début, de nom-breuses voix s’y sont opposées mais elles ont été ré-primées. En tout cas, la mobilisation est très mal perçue et, malgré la répression et la menace d’années de pri-son, des femmes et des hommes ont osé manifester leur opposition. Beaucoup de Russes en âge d’être mobili-sés cherchent à quitter le pays ; il y aurait eu jusqu’à dix kilomètres de file à certains postes frontière. Ces Russes qui fuient une guerre qui ne les concerne pas s’ajoutent aux 500 000 de leurs concitoyens qui ont déjà quitté le pays depuis de début de l’année, soit le double de l’année précédente.
Par ailleurs, Poutine a lancé des référendums dans les zones occupées afin de justifier « démocratiquement » leur annexion à la Russie. Il se moque bien de l’avis des populations et cherche avant tout à redorer son image de chef infaillible censé restaurer la grandeur impériale de la Russie. C’est en tout cas comme cela qu’il se présente lui-même, même s’il défend en réalité avant tout les intérêts de la couche dirigeante de l’appareil d’État, la bureaucratie héritée de l’ancien ré-gime soviétique et qui vit aux crochets de la population.
Beaucoup a été dit sur les responsabilités dans cette guerre. Poutine a déclenché les hostilités et les diri-geants européens et américains en ont profité pour se présenter comme les défenseurs de la liberté. Or, il ne s’agit évidemment pas d’une lutte entre le bien et le mal, entre la dictature et la démocratie.
Si l’on remonte @ dans l’histoire, l’Union Soviétique des années 80 n’avait depuis longtemps plus rien à voir avec le communisme. En lieu et place d’un vrai parti communiste et d’une vraie démocratie, il y avait une armée de bureaucrates qui vivaient aux dépens de la population. La vie y était-elle pire ou meilleure qu’ailleurs, là n’est pas la question : ce n’était pas le communisme pour lequel s’étaient battus des millions de paysans et d’ouvriers en 1917. Ce régime qui tenait par la terreur a fini par s’effondrer en 1989 quand une partie de ses dirigeants s’est sentie suffisamment forte que pour se débarrasser de cet État policier qui les fa-vorisait mais les bridait aussi dans leurs ambitions.
Il y eut dans les années 90 une phase de décentralisa-tion et de libéralisme à outrance qui servit les plus am-bitieux. Ce fut la curée, chaque dirigeant local ou régio-nal tentait de s’approprier la plus grosse part possible du gâteau. Mais dans cette jungle nouvellement capita-liste, il n’y en avait évidemment pas pour tout le monde et la masse des couches intermédiaires, composée de centaines de milliers de bureaucrates, se réfugia dès les années 2000 derrière le parti de Poutine qui recentralisa et permit dès lors à chacun de ces privilégiés de se su-crer à son niveau, tant que c’était en bon ordre.
Cela a créé une économie stagnante et incapable de ri-valiser avec les capitalistes occidentaux qui ont grignoté l’ancien empire soviétique en y étendant leur propre domination. Tous les pays balkaniques ont progressi-vement basculé dans leur sphère d’influence et l’Ukraine est depuis vingt ans le terrain d’une lutte d’influence qui s’est manifestée par une alternance de gouvernements pro-russes et pro-occidentaux.
Incapable de résister sur le plan économique à l’appétit des capitalistes occidentaux, Poutine a lancé l’offensive sur un plan militaire, comptant sur un ef-fondrement de l’armée ukrainienne et espérant sans doute que ses adversaires n’oseraient pas aller au-delà de protestations formelles comme ce fut le cas lors de l’annexion de la Crimée.
Poutine n’est pas un héros de la résistance aux Etats-Unis et les pays de l’OTAN ne sont pas les défenseurs de la liberté. Il n’y a pas de lutte idéologique, ce sont des pays concurrents en lutte pour le contrôle de res-sources et de marchés à l’échelle mondiale. Ils règlent leurs différents sur le champ de bataille au prix de di-zaines de milliers de morts, de millions de déplacés et de vies brisées. Le capitalisme a toujours considéré que la vie des femmes et des hommes ne valait rien face aux profits. C’est une raison de plus, s’il en fallait une, pour le renverser.