Il aura fallu deux tours de scrutin à Recep Tayyip Erdoğan pour être réélu pour la troisième fois, avec 52 % des voix exprimées, à la présidence de la Turquie. Avec un bilan économique et social catastrophique, la victoire était loin d’être assurée et le Raïs turc n’a pas lésiné sur les moyens. En regroupant autour de lui une alliance de droite nationaliste et islamiste, Erdoğan a plus que jamais mobilisé les moyens de l’État et multiplié les cadeaux. Il a monopolisé le temps d’antenne dans les médias à sa botte, à grands renforts de campagnes de désinformation grossière, de propagande religieuse et de discours haineux contre ses opposants. La répression s’est accentuée tout au long de la campagne électorale avec de nouvelles vagues d’arrestation de journalistes, de syndicalistes et de militants kurdes ou de gauche, soupçonnés comme d’habitude de terrorisme, et des milliers de poursuites pour insulte au président. L’opposition a été muselée par la censure des réseaux sociaux et des médias indépendants, l’interdiction d’envoi de sms aux électeurs et l’état d’urgence décrété dans les départements frappés par le terrible tremblement de terre du 6 février. Et si cela ne suffisait pas, les partisans de l’AKP et les « Loups gris » du MHP n’ont pas hésité à faire le coup de poings contre les militants et les électeurs de l’opposition, tant en Turquie qu’à l’étranger. Comme lors des précédentes élections, de multiples cas de fraudes ont été constatés avec un système bien rodé de bourrages d’urnes dans certains districts à forte présence militaire ou policière.
Malgré le rejet suscité par Erdoğan dans une grande partie de la population et les soutiens affichés par le parti kurde HDP et la plupart des partis de gauche, son principal rival, Kemal Kılıçdaroğlu, pouvait difficilement être une alternative pour les travailleurs et les classes populaires. A la tête d’une coalition disparate de sociaux-démocrates, de nationalistes, d’islamistes et de dissidents de l’AKP, le candidat kémaliste n’avait pour programme que la vague promesse d’un retour massif des investissements étrangers en échange d’une politique dictée par les marchés financiers. A la propagande militariste, antikurde et homophobe d’Erdoğan, Kılıçdaroğlu a répondu par une surenchère nationaliste et xénophobe en flattant les sentiments anti-réfugiés, comme si les travailleurs syriens étaient responsables de l’inflation ou de la faiblesse des salaires. Dans les régions kurdes où l’abstention était plus forte qu’ailleurs, on n’a pas non plus oublié que cette même opposition a systématiquement approuvé les crédits de guerre pour les interventions militaires en Syrie et en Irak.
Dès l’annonce de la victoire d’Erdogan, la livre turque, qui a déjà perdu plus de 90 % de sa valeur en dix ans, a connu une nouvelle chute pour franchir les 20 livres pour un dollar, appauvrissant un peu plus encore les Turcs. Avec une dette extérieure de 450 milliards de dollars, un déficit de 50 milliards de dollars, une inflation officiellement estimée à 43 % et un chômage à 22 %, la grande majorité d’entre eux ne se font guère d’illusions. D’autant qu’une fois les élections passées, Erdoğan et sa clique vont continuer à faire payer cette crise aux classes populaires. La politique de baisse des taux d’intérêt, tant décriée par les observateurs étrangers feignant la naïveté, n’a pour but que de favoriser les profits des exportateurs et du secteur touristique. Que cette politique aggrave l’érosion des salaires et des retraites d’une population déjà largement éprouvée, voilà bien le dernier souci des fondés de pouvoir de la classe capitaliste, qu’elle soit turque ou internationale !
La dernière manœuvre en date suffit à l’illustrer. Avant les élections, le gouvernement avait annoncé en grande pompe la gratuité du gaz pour tous les ménages pour une durée d’un mois. Cette mesure sert à présent de prétexte pour limiter l’augmentation des salaires et des retraites au prétexte d’une baisse artificielle de l’inflation ! Les travailleurs payeront deux fois ce généreux cadeau électoral : d’une part, via l’augmentation des taxes et impôts, et d’autre part, via un gel de leurs salaires. Les travailleurs devront dès maintenant se préparer à riposter sur leur terrain de classe. Ouvrir des perspectives révolutionnaires, face à ce régime d’exploitation et d’oppression, est une tâche urgente