La grande grève de l’hiver 60-61 a été l’un des événements marquants de l’histoire du mouvement ouvrier en Belgique. Le gouvernement était alors dirigé par Eyskens du PSC (aujourd’hui le CdH). Il avait mis le feu aux poudres avec un plan d’austérité appelé « Loi Unique » qui prévoyait d’augmenter les taxes et les cotisations tout en remettant en cause les droits acquis en matière de pension et d’invalidité. Le PS et la FGTB, le syndicat majoritaire à l’époque, s’étaient prononcés contre mais hésitaient et ne faisaient pas mine d’organiser une quelconque riposte des travailleurs, alors que leurs affiliés et les travailleurs en général réclamaient des actions.
Le 14 décembre, 60.000 personnes manifestèrent à Liège. Le syndicat et André Renard, le dirigeant liégeois de la gauche syndicale qui avait été un partisan pendant la guerre, ne prévoyaient cependant pas de grève avant janvier.
Mais le 20 décembre, las d’attendre des mots d’ordre syndicaux, les travailleurs communaux décidèrent les premiers d’entrer en grève, suivis dès le lendemain par les cheminots et les enseignants. Dans le secteur privé, les ACEC de Charleroi et Cockerill-Liège ont arrêté le travail dès le premier jour, entrainant dans leur sillage toute l’industrie wallonne mais aussi les dockers d’Anvers et les ouvriers de Gand.
La FGTB dût bien reconnaître le mouvement mais elle refusa de lancer un mot d’ordre de grève générale nationale. Un peu partout, les travailleurs de toutes les entreprises se retrouvaient quotidiennement dans les maisons du peuple pour organiser la grève, former les piquets et assurer le ravitaillement. Tout était à l’arrêt et il fallait un laissez-passer du syndicat pour franchir les barrages !
De grandes manifestations eurent lieu, rassemblant des dizaines de milliers de travailleurs dans des villes comme Liège, Charleroi, La Louvière, Anvers, Gand et Bruxelles. Face à ce mouvement massif, l’État fit appel à la gendarmerie et à l’armée, avec chevaux, sabres et fusils. Quatre ouvriers furent tués par les gendarmes et il y eut de nombreux blessés, mais pas seulement du côté des travailleurs ! Cette répression ne fit que renforcer la colère ouvrière.
Finalement, la grève cessa le 20 janvier 1961. Elle ne s’était pas essoufflée faute de combativité ouvrière, bien au contraire, mais en l’absence de perspectives venant de leurs dirigeants, les travailleurs sont restés désemparés. Beaucoup n’attendaient du syndicat, et de Renard en particulier, qu’un signal pour marcher sur Bruxelles, unis entre travailleurs de toutes les régions et de tous les métiers pour faire tomber le gouvernement Eyskens. Mais les dirigeants syndicaux ne le voulaient manifestement pas.
Au contraire, dès qu’elle le sentit possible, la direction de la FGTB fit reprendre le travail. Dans certains endroits, comme à Liège, les bureaucrates syndicaux firent voter plusieurs fois les travailleurs jusqu’à ce que le vote soit en faveur de la reprise. Finalement, c’est la tête haute, avec le drapeau rouge et en chantant l’Internationale, que les travailleurs sont retournés au travail.
Bien que la majorité des travailleurs flamands soient affiliés à la CSC et que ce syndicat se soit ouvertement opposé à la grève, bien que l’Église catholique ait pesé de tout son poids contre le mouvement, la grève était générale en Flandre également. Cela n’a pas empêché Renard de mettre en avant le fédéralisme au lieu de continuer la grève contre la Loi Unique, sous prétexte que les Flamands auraient été moins grévistes que les Wallons. Il y avait pourtant de nombreux grévistes à Gand et à Anvers, ainsi que d’importantes manifestations. Il aurait été tout à fait possible de renforcer les liens qui se faisaient entre les grévistes du Nord et du Sud. Mais, cela aurait été trop dangereux pour la bourgeoisie et ni la FGTB ni Renard n’en voulaient.
Les nationalistes flamands d’aujourd’hui ont eu il y a 60 ans des prédécesseurs socialistes qui prétendaient œuvrer à la défense de la classe ouvrière. Qu’ils se disent de droite ou de gauche, le nationalisme est un poison pour les travailleurs.
Le monde du travail a prouvé maintes fois que ce n’étaient ni la combativité ni le courage qui lui faisaient défaut. En revanche, il nous manque un parti ouvrier avec des idées révolutionnaires, un parti communiste avec un programme politique capable afin que plus jamais les travailleurs ne laissent leur sort entre les mains de ceux qui, au bout du compte, les livrent pieds et poings liés à leurs adversaires.