La guerre en Syrie semble être arrivée à un tournant. Soutenue par les bombardements russes, l’armée d’Assad, que l’on donnait battue il y a quelques mois, est maintenant en bonne posture pour reprendre Alep, la seconde ville du pays. A la faveur de ce retournement de situation, les milices kurdes reprennent elles-aussi du terrain et avancent vers les territoires occupés par l’État islamique, aux dépens des milices sunnites. Mais les Kurdes, soutenus par les États-Unis, se font maintenant bombarder par la Turquie, qui craint par dessus tout qu’un État kurde voie le jour à ses frontières. Et ce n’est pas la première fois que les « alliés » des occidentaux contre l’État islamique se tirent les uns sur les autres… La population syrienne, elle, se retrouve bombardée de tous les côtés, par l’armée d’Assad, par les avions russes, américains, français, anglais et maintenant saoudiens. Elle n’a d’autre option que de fuir, ce que recherchent probablement Assad et ses alliés russes, afin d’exporter le problème en augmentant le flux de réfugiés.
Le silence relatif des États-Unis, en particulier face à l’intervention russe, montre qu’un changement de stratégie est à l’œuvre depuis plusieurs mois.
Lorsque les révoltes du printemps arabe ont touché la Syrie, les pays impérialistes y ont vu une bonne occasion de faire tomber le régime Assad pour le remplacer par un régime à leur botte. De leur côté, les puissances régionales rivales, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar, espéraient que la chute d’Assad leur permettrait d’étendre leur zone d’influence et ont largement soutenu les groupes djihadistes, dont l’État islamique, qui en est sorti renforcé au point que l’on sait aujourd’hui. De son côté, Assad a pu compter sur le soutien de l’Iran, de la Russie et du Hezbollah libanais pour défendre son pouvoir par les armes.
C’est ainsi que la contestation légitime de la dictature d’Assad a été transformée en vraie guerre civile.
Les États-Unis et les pays européens ont attendu que la situation décante, en soutenant l’opposition à Assad, sans pour autant directement intervenir. Cela a affaibli le régime d’Assad, mais cela n’a pas suffi à le faire tomber. Il est probable que les puissances impérialistes ne souhaitaient pas renouveler l’expérience catastrophique de la Lybie où l’élimination de Kadhafi a créé un vide de pouvoir et un chaos qui continue encore aujourd’hui. Et aucun pays occidental n’est prêt à se lancer dans un nouveau bourbier comme en Afghanistan ou en Irak.
La montée en puissance de l’État islamique a changé la donne. Soutenu plus ou moins directement par l’Arabie Saoudite et la Turquie, le groupe avait de gros moyens militaires qui lui ont permis de menacer de prendre le pouvoir dans la région. Les pays impérialistes auraient pu s’en arranger, comme ils se sont arrangés de toutes les dictatures les plus sanglantes, sur tous les continents. Mais Daesh s’est avéré incontrôlable. Après les assassinats mis en scène de façon atroce, et après les attentats qui ont frappé l’Europe, il n’était plus possible pour les puissances étrangères de nouer alliance avec ce groupe.
L’extension du conflit hors des frontières, la menace d’un déséquilibre qui s’étend aux pays voisins, l’exode de réfugiés jusqu’en Europe, tout cela imposait aux États-Unis et à leurs alliés de trouver une manière de sortir de la crise, et il était clair que les bombardements n’allaient pas suffire.
Or, aucun groupe d’opposition à Assad ne s’était montré capable d’être une alternative crédible, incapables qu’ils étaient de surmonter leurs divisions.
Finalement, le régime d’Assad a résisté mieux que prévu et les États-Unis n’ont finalement que lui pour rétablir un semblant d’ordre dans le pays. C’est là que les Russes entrent en scène. Il est évident qu’ils n’ont pas pu intervenir aussi massivement et amener sans encombre autant d’hommes et de matériel sans l’accord des Américains. En remettant Assad en selle, les Russes le positionnent comme la seule option face à l’État islamique ; les États-Unis et les pays européens n’ont plus qu’à protester hypocritement pour masquer leur volte-face.
La guerre n’est pas finie, mais on peut déjà dire qu’elle n’aura rien changé ! Assad-père était déjà le gendarme de la région, faisant régner l’ordre en Syrie comme au Liban. Les dirigeants des pays occidentaux ont tenté de faire tomber le fils, ils n’y sont pas arrivés. Pour eux, ce n’est qu’un coup raté, mais pour la population syrienne, cela a signifié 260 000 morts, des millions de déplacés, de vies et de familles brisées.