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Les travailleurs doivent prendre le contrôle de la société !

Démarré mi-novembre en France, le mouvement des Gilets jaunes a fait tache d’huile en Belgique et il continue malgré le concert de commentaires négatifs dans les médias et la classe politique.
Certes, les uns comme les autres disent comprendre le désarroi social des Gilets jaunes. Mais en pratique, les médias font leurs premières pages sur les dégâts occasionnés lors des manifestations. Les moins négatifs limitent leurs critiques à pointer du doigt l’absence d’organisation et de revendications claires, les autres accusent le mouvement de flirter avec le populisme, voire l’extrême droite.
De l’autre côté, les politiciens renchérissent en dénonçant les débordements inacceptables. Eux aussi reconnaissent du bout des lèvres qu’il y a un problème social à la base du mouvement, mais ils s’abstiennent évidemment de proposer quoi que ce soit de concret pour y répondre. Charles Michel, par exemple, a dit entendre le message – mais il ajoute aussitôt que son Tax Shift va tout résoudre et ensuite que c’est la faute au… changement climatique ! « Il ne faut pas faire croire que l’argent tombe du ciel, quelqu’un doit payer, si ce sont les entreprises, ce sont des emplois potentiels qui sont en jeu ». Tous ceux qui travaillent dur, jour après jour, toute leur vie, apprécieront qu’un ministre qui gagne 10 000 euros par mois leur fasse la morale sur « l’argent qui ne tombe pas du ciel ». Surtout quand il s’acharne à les faire travailler encore plus longtemps et à réduire les impôts de ces bourgeois qui vivent du travail des autres !
Même son de cloche dans les autres partis : tous prétendent avoir entendu le message, se défaussent les uns sur les autres et attendent que la répression policière et la lassitude aient raison du mouvement pour reprendre le train-train des affaires.
Médias et politiciens partagent un point commun à propos des Gilets jaunes : le mépris pour un mouvement qui est parti d’une colère profonde de ceux dont ils attendent qu’ils subissent leur sort en silence.
Il n’y a qu’à voir la manière dont le même Charles Michel et les médias ont encensé la marche pour le climat pour se rendre compte qu’il y a deux poids et deux mesures ! Le dimanche, il n’y avait pas d’autopompes en embuscade, ni de policiers en civil pour arrêter les manifestants à la descente du train…
Il est vrai que le mouvement des gilets jaunes n’est pas homogène et structuré. On y retrouve tant des salariés, des chômeurs ou des pensionnés que des petits indépendants. Beaucoup ont un travail et viennent par solidarité. Tous partagent la difficulté à joindre les deux bouts et ne supportent plus d’être des laissés pour compte, de devoir porter, année après année, tout le poids de l’austérité sans rien recevoir en échange.
Leur première cible sont les taxes et particulièrement celles sur le diesel. Combien de travailleurs dépensent entre 200 et 300 euros par mois pour se rendre à leur travail, parce qu’il n’y a pas de transports publics sur leur trajet, ou à l’heure à laquelle ils vont au travail ? Pour ceux-là, chaque hausse du prix de l’essence les pousse un peu plus vers la précarité et on peut comprendre pourquoi l’augmentation des accises a pu déclencher leur colère. Mais beaucoup vont au-delà et dénoncent plus généralement les salaires trop bas et l’injustice sociale d’une société uniquement tournée vers le profit. Pour d’autres, le problème n’est pas tant de payer des taxes que de ne rien recevoir en retour : pas de profs dans les écoles, ni d’infirmières dans les hôpitaux, pas assez de bus ou de trains.
La colère qu’ils expriment, chacun à leur manière, et la violence qui ressort des manifestations sont le reflet de la violence de la société à l’égard des couches populaires, condamnées à la précarité par l’appétit de profits des capitalistes. Devoir choisir entre nourrir ses enfants ou se soigner, c’est violent, mais c’est pourtant le sort d’un foyer sur cinq en Wallonie et c’est ce que les gouvernants voudraient qu’on accepte en silence, avec leur pitié pour seule consolation.
Le manque de clarté des revendications, parfois contradictoires, reflète le manque d’unité politique. Il n’est pas évident pour tous que c’est le capitalisme qui est responsable de cette situation et que les gouvernements n’en sont que les gestionnaires.
Des voix parmi les Gilets jaunes disent qu’il ne suffira pas d’obtenir un recul sur les taxes. Effectivement, quoiqu’il cède, le gouvernement cherchera aussitôt à le reprendre. Le seul moyen de sortir de ce cercle vicieux, ce serait d’imposer un contrôle de la population sur les comptes de l’État et des grandes entreprises. On verrait alors où va l’argent des impôts ainsi que les milliards créés par notre travail. Et il faudrait aussi imposer une hausse générale des salaires au détriment des profits. Voilà des revendications qui pourraient unir les travailleurs. Et cette union, c’est leur force.

Plus que jamais la lutte des classes

Journalistes et intellectuels peuvent bien clamer que les classes sociales n’existent plus et que la lutte des classes est une histoire ancienne, il suffit d’observer la situation sociale pour se convaincre du contraire.
Warren Buffet, l’une des premières fortunes mondiales n’expliquait-il pas « il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. » La Belgique ne fait pas exception, les conditions d’existence des classes populaires n’arrêtent pas de se dégrader. Depuis quelques semaines, des travailleurs se sont mobilisés chez Ryanair, AviaPartner, Bpost, Mestdagh, etc.
Dans la compagnie irlandaise, les grèves sont fréquentes et un mouvement à l’échelle européenne s’est construit. Suite aux dernières grèves fin octobre, la direction belge s’engageait à faire appliquer la législation locale, plus favorable aux travailleurs et garantissant de meilleures conditions de travail.
Le jour même de la conclusion de l’accord chez Ryanair, ce sont les travailleurs d’Avia Partner qui entraient en grève. Six jours plus tard, la direction a dû céder et passer un accord avec les syndicats. Les travailleurs ont obtenu la transformation de 27 contrats d’intérimaires en CDI, la prolongation de CDD et l’embauche de 40 intérimaires supplémentaires. De plus, alors même que la direction refusait toute intervention pour remédier au matériel défectueux, elle a consenti à débourser 3,2 millions d’euros pour son remplacement.
À BPost, les sous-effectifs et les cadences de travail démentes ont poussé les syndicats à organiser une grève tournante d’une semaine début novembre.
En effet, l’exploitation des travailleurs s’y était fortement aggravée ces dernières années : retour de l’engagement à la journée, chronométrage du tri, allongement des tournées, introduction de nouvelles machines augmentant les cadences, etc. À cette heure, les travailleurs n’ont pas gagné la lutte. Mais ils ont refusé d’accepter l’accord que les syndicats avaient signé avec la direction et les grèves ont continué.
Plus récemment, et sur un mode très différent, des travailleurs manifestent leur opposition à la hausse du prix de l’essence. Les Gilets jaunes comme ils s’appellent, bloquent les routes et les dépôts d’essence. Le mouvement est parti de France et s’est étendu au sud de la Belgique. Mais très vite, les manifestants, pour la plupart des travailleurs, ont exprimé leur ras-le-bol des petits salaires et de ne pouvoir joindre les deux bouts en fin de mois.
Le mouvement s’est organisé à la base, à partir des réseaux sociaux et sans lien avec les syndicats, raison qui explique en partie les réticences syndicales à l’égard des Gilets jaunes. Bodson, le président de la FGTB wallonne, estime aussi que les revendications contre les taxes sont trop partielles, qu’elles ne posent pas le vrai problème des travailleurs, celui des salaires trop bas.
Bodson n’a pas entièrement tort. Les taxes pèsent à la fois sur les travailleurs et sur les petits patrons. C’est la raison pour laquelle les uns et les autres se retrouvent dans le mouvement, sans doute de manière plus importante en France qu’en Belgique. Or, les taxes et les impôts servent de plus en plus à financer les profits des grandes entreprises. Si le gouvernement devait reculer sur les taxes, il se tournerait vers les classes populaires pour les ponctionner un peu plus et combler le manque à gagner pour la grande bourgeoisie.
Des salariés du public ou du privé, des chômeurs et des retraités participant aux blocages ont exprimé qu’ils n’en pouvaient plus des sacrifices et de devoir se serrer la ceinture d’un cran de plus pour se déplacer, ne serait-ce que pour aller au boulot ou pour essayer d’en trouver. Mais, s’ils veulent se battre pour leur droit à l’existence, les travailleurs doivent cibler les donneurs d’ordre : cette classe capitaliste pour laquelle le gouvernement est aux petits soins et qui mène la guerre aux travailleurs.
Aujourd’hui, les manifestants se déclarent apolitiques et par là expriment leur défiance vis-à-vis des partis traditionnels qui mènent tous une politique contre les classes populaires. Mais l’apolitisme est une chimère. Le monde du travail doit mettre en avant ses propres objectifs et se mobiliser sur ses propres revendications.
Pour l’instant on ne peut pas dire quelle direction va prendre ce mouvement. Lorsqu’un ancien membre du parti d’extrême droite de Modrikamen a essayé de lancer un nouveau parti au nom des Gilets jaunes, celui-ci a dû faire marche arrière devant le désaveu exprimé par les portes-paroles du mouvement. Mais hier encore, des militants de Nation, un groupuscule d’extrême droite, ont participé à des blocages.
L’intérêt des travailleurs est de montrer leur indignation sur leur terrain de classe. C’est le meilleur moyen d’empêcher toute récupération par des démagogues.